lundi 11 novembre 2013

Des contenus pédagogiques différenciés pour des rôles différenciés : Cas du Niger


L’économie familiale et sociale, communément appelée EF, est une matière inclue dans le programme académique du Collège au Lycée.
Instaurée après les années 60 dans les collèges, elle était enseignée aux jeunes filles du Niger, et uniquement aux filles. Au début, cette matière se faisait appeler « Enseignement ménager ». L’objectif était de former la population féminine à son rôle social, à savoir celui de la tenue de maison et de l’éducation des enfants. Le contenu des enseignements était très pratique et tournait autour de la cuisine et la confection de vêtements. Il s’agit des tâches qui se relient à ce que les Anglo-Saxons appellent le care (le prendre soin). J’entends déjà certains dire : « ah ces colons qui veulent une fois de plus avilir nos femmes » ; je vous arrêtes de suite. Ce modèle social de la femme, les européennes, ou du moins les hommes qui dirigeaient la société européenne, le pensaient aussi fortement. Dans une brochure rédigée par une spécialiste en économie familiale, Sophie LESTEVEN, on peut lire que l’économie familiale est fortement inspirée du “modèle occidental”, celui de la femme dépendante du chef de famille réduite à des tâches d’épouse et de mère, auquel les organisations coloniales, puis l’assistance technique étrangère donnaient valeur universelle. En 1960, les françaises venaient à peine d’obtenir le droit de vote 5 ans plus tôt et se battaient encore pour contrôler leur maternité. Bref, laissons ces françaises et revenons aux nigériennes.
En 1980, l’enseignement ménager change de nom pour celui définitif d’économie familiale et sociale. Les cours restent principalement pratiques au collège, mais il est étendu au Lycée avec une forte dose de théorie (surtout en génétique, reproduction et nutrition). Le contenu des cours tourne autour de la reproduction, de la santé, de l’hygiène ou encore de l'identification et de la guérison de malnutrition. Mais, l’État nigérien reste silencieux sur la destination des cours d’EF au Lycée. Pourtant, et sous l’influence de certains responsables d’établissement, les garçons décident de s’en détacher. Au bac, les garçons se contentaient d'une épreuve de dessin afin de valider les coefficients en économie familiale. Les filles, elles, font la couture.
L’économie familiale est déduite comme étant destinée aux filles (de plus les enseignants de cette matière sont uniquement féminin). Malgré la grosse partie théorique du Lycée, les garçons ne veulent pas connaître l’organisation des organes de reproduction, ni comment nourrir un enfant ou éviter des intoxications alimentaires. Aminatoulaye, enseignante avec plus de 15 de métier témoigne :
Cela était complètement absurde dans la mesure où cette matière est une science de la vie quotidienne (la nôtre et celle de nos enfants). Mais on l'attribue aux filles, les futures mères. Comme si les garçons n'étaient jamais des pères ou qu’ils ne trouvent pas important de connaître les apports nutritifs des aliments".
Quelles conséquences sur ces jeunes nigériennes ?
Je pense fortement qu'au collège et au lycée, nous sommes en présence de jeunes filles et garçons qui construisent leur identités et leur place dans la société. Féminiser une matière, en revient à réduire un genre dans une case donnée et conforter dans la même ligne des rôles sociaux et idées préconçues. Les moqueries des garçons étaient monnaie courante lorsque les filles allaient en cours d'économie familiale, pendant que eux avaient quartier libre. Pour l'épreuve de dessin au Bac ils n'avaient même pas à prendre des cours. La féminisation de cette matière a aussi conforté le manque de confiance en soi des jeunes files qui se voient mises dans des cases. Elles restent plus que convaincues de leur principal rôle de femme au foyer, considérant que tout avenir au delà devant être classé comme secondaire ou utopique. Cela illustre un peu la place de la femme dans ce pays majoritairement musulman où il y a peu d'évolution professionnelle pour les femmes.
Les choses ont commencé à évoluer lorsque les professeurs de science de la vie et de la terre se sont rendus compte que certains des chapitres qu’ils dispensaient dans leur matière se retrouvaient en EF (surtout en génétique, reproduction et nutrition). Ils font alors front commun avec les enseignantes d’EF afin que les garçons participent à leur cours. Il ne le font pas par solidarité, loin de là, mais juste pour ne pas avoir à dispenser ces chapitres là et se ménager. Ensuite, voyant l'utilité de cette matière, les directeurs des collèges et Lycées l'ont imposée aux garçons malgré sa féminisation pour le collège et le silence de la loi pour le Lycée. Ces actions vont fortement influencer l’État nigérien qui a décidé il y a 3 ou 4 ans de soumettre l'enseignement de l'économie familiale aux garçons et aux filles sur toute l'étendue du territoire nigérien. Aminatoulaye nous dit:
"Lorsque j'ai voulu imposer l'économie familiale aux garçons, ils se sont révoltés. Beaucoup ne venaient pas à mon cours alors je leur mettais la note zéro. Ma chance était que mon proviseur me supportait donc au fur et à mesure j'ai pu faire assister tous les garçons. Aujourd'hui, avec l'imposition officielle aux garçons et aux filles, les mentalités changent. Il est facile de voir au bac un garçon qui choisit de faire la couture ou encore une fille qui choisit le dessin comme épreuve. Le sujet est au choix".


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