Chaque année, quelque 60 000 migrants emprunteraient les routes nigériennes dans leur périple pour rallier l’Afrique du Nord, puis, pour beaucoup d’entre eux, l’Europe. Venus principalement de Gambie, du Nigeria, du Sénégal et du Ghana, ils profitent de la libre circulation en vigueur au sein de la Cedeao pour parvenir à la frontière libyenne en toute légalité. Car, à moins qu’ils soient sans papiers, l’État nigérien ne peut pas leur refuser l’entrée sur son territoire.
Depuis le début de la guerre au Mali, en 2012, et le renforcement des contrôles à la frontière algéro-malienne, le phénomène a pris une telle ampleur qu’Agadez, la métropole du Nord nigérien, est devenue le point de départ quasi officiel des convois de migrants en partance pour la Libye. La ville a même rebâti son économie, jadis principalement irriguée par le négoce, l’artisanat et le tourisme, sur les besoins de ces voyageurs d’un genre particulier.
L’immigration est devenue, en quatre ans, le principal fonds de commerce de la ville« Presque tous les jeunes qui disposent d’un véhicule se sont lancés dans cette activité », explique Mohamed Anacko, président du conseil régional d’Agadez et ancien leader touareg. Entre le business des passages et celui des « maisons d’hôtes » (aussi appelées « ghettos »), où les habitants accueillent en nombre les aspirants au départ, l’immigration est devenue, en quatre ans, le principal fonds de commerce de la ville.
Un vrai dilemme pour le gouvernement nigérien. « On ne peut pas abandonner la lutte contre le phénomène du trafic illicite de migrants sous prétexte que les habitants seraient contre et que c’est impopulaire », décrète Hassoumi Massaoudou, le ministre de l’Intérieur, qui, à défaut de pouvoir efficacement faire démanteler les maisons d’hôtes par les forces de police, exhorte les Agadéziens à trouver des activités de substitution.
Transporter des migrants pour leur faire passer la frontière de la Cedeao est considéré comme un crime et passible de dix ans de prison au minimumLe 11 mai, le Parlement a adopté une loi criminalisant l’activité des passeurs en la qualifiant de trafic d’être humains. Depuis son entrée en application, fin mai, transporter des migrants pour leur faire passer la frontière de la Cedeao est donc considéré comme un crime et passible de dix ans de prison au minimum. Pourtant, si plusieurs vagues d’arrestations ont été orchestrées, aucune condamnation n’a encore été prononcée par la justice nigérienne.
« Tout le monde est impliqué », fait remarquer Mohamed Anacko. La population de la région, bien sûr, qui y trouve une activité rémunératrice, mais également les forces de sécurité, dont certains membres, selon plusieurs témoignages, n’hésitent pas à rançonner les convois, qui repartent ensuite libres dans le désert. « Certains viennent à Agadez exclusivement pour s’enrichir, puis, quand cela devient trop voyant, on les renvoie à Niamey », déplore Mohamed Anacko.
Selon le ministère de l’Intérieur, qui espère réduire ce flux de migrants de manière significative, il est urgent de mettre en place une force consacrée à la seule lutte contre les passeurs. « La police qui s’en charge est la même que celle qui patrouille ou s’occupe des vols, déplore Hassoumi Massaoudou. Mais créer une force spéciale suppose un coût important… Et nous avons déjà beaucoup à faire face au terrorisme et au trafic de drogue. » Les autorités nigériennes ont donc appelé l’Union européenne à participer à la formation et au financement d’une telle brigade.
Les passeurs empruntent des voies plus difficiles. Et c’est comme cela que l’on retrouve des convois de migrants perdus ou morts dans le désert, explique Mohamed AnackoPour le moment, faute de moyens, les quelques contrôles mis en place contre les convois illégaux n’ont le plus souvent qu’un effet pervers. « Les passeurs les contournent, ils empruntent des voies plus difficiles. Et c’est comme cela que l’on retrouve des convois de migrants perdus ou morts dans le désert », explique Mohamed Anacko.
« Nous ne voulons pas que l’économie criminelle prenne le pouvoir à Agadez comme elle a pris le pouvoir dans le Nord-Mali », martèle pourtant Hassoumi Massaoudou, bien résolu à reprendre le contrôle de la situation. Reste que, compte tenu de l’immensité de la région d’Agadez (qui couvre plus de la moitié de la superficie du pays) et de la porosité de sa frontière avec une Libye déstabilisée, le combat de l’État nigérien contre les passeurs semble loin d’être fini.
Accueillir ou ne pas accueilir
Agadez et d’autres localités du Nord pourraient bientôt disposer de centres d’accueil de migrants. L’idée, évoquée par plusieurs ministres européens en visite au Niger, est débattue depuis plus d’un an entre l’État nigérien et l’Union européenne (UE). Toutefois, aucun accord n’a été signé. Et aucun projet n’a encore vu le jour. « Aujourd’hui, on essaie de démanteler les « maisons d’hôtes », mais l’on est aussi obligé de fermer les yeux, car on ne peut pas arrêter ni mettre en prison des migrants qui n’ont commis aucun délit.
Il nous faut donc des centres où les héberger dignement et les sensibiliser pour les inciter à retourner chez eux », explique Hassoumi Massaoudou, le ministre de l’Intérieur nigérien. Or la construction de centres d’accueil pourrait être vue d’un mauvais œil par les populations locales. « C’est dans les pays d’origine que des actions doivent être menées, que la sensibilisation des jeunes doit être mise en place, estime Mohamed Anacko, le président du conseil régional d’Agadez. Si l’on met un centre à Agadez, tout le monde va y venir pour profiter de l’argent de l’UE… »
Mathieu Olivier
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