samedi 29 juin 2013

Un traité "historique" signé sur l'accès des aveugles aux livres


 C'est "la fin d'une très longue bataille", savoure Maryanne Diamond: à Marrakech, la signature vendredi d'un traité international qualifié d'"historique" doit contribuer à sortir plus de 300 millions d'aveugles et mal-voyants "de la famine littéraire". A ce jour, du fait de la législation liée au droit d'auteur, moins de 5% des ouvrages publiés chaque année sont transcrits "dans des formats accessibles" (braille, audio-numérique...) aux déficients visuels, selon l'Union mondiale des aveugles (UMA). Leur partage transfrontalier est en outre entravé, alors que près de 315 millions de personnes sont concernées dont 90% dans des pays en développement. Cette semaine, au terme de négociations marathon, les quelque 800 négociateurs des 186 pays membres de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sont toutefois parvenus à un compromis sur une limitation de ce droit d'auteur, une première. L'annonce de l'accord a été saluée par une explosion de joie parmi les responsables de la société civile présents au Maroc. "Ca a été une très longue bataille", souffle Maryanne Diamond, la présidente de l'UMA. "Nous nous battons pour cela depuis dix ans maintenant", poursuit Barbara Martin, responsable de l'Organisation nationale des aveugles d'Espagne (Once). "Au final, 95% des problèmes ont été résolus", ajoute-t-elle. Pour elles, comme pour l'ensemble des ONG, l'un des principaux acquis du "traité de Marrakech" réside dans la libre circulation des ouvrages dédiés, désormais gravée dans le marbre, "même si chaque pays doit encore ratifier" l'accord, notent-elles. Pierre angulaire de la législation depuis plus d'un siècle, la Convention de Berne (1886) exige en effet l'autorisation de l'auteur et/ou le versement de redevances pour toute utilisation d’une œuvre protégée, notamment en matière de partage transnational. Elle prévoit bien des "exceptions", mais laisse à chaque pays le soin de les préciser, entraînant un "maquis de réglementations" préjudiciable aux déficients visuels. "Vous vous rendez compte? Rien que pour l'Espagne et l'Argentine, on parle de plus de 150.000 ouvrages en format accessible que nous allons pouvoir partager avec le reste du monde hispanophone!", s'exclame Barbara Martin. A l'arrière de la grande salle royale, Jace Nair, du Conseil national sud-africain pour les aveugles, ne semble toujours pas en revenir. "C'est un moment historique, très émouvant pour beaucoup d'entre nous. Ca a été des années de bataille, en particulier avec la résistance de certaines parties", avance-t-il, en référence aux négociateurs américains et européens qui ont longtemps exprimé leur crainte d'une faille dans le droit d'auteur. Selon lui, le traité est notamment une aubaine pour le continent africain, "où on dénombre le plus grand nombre de déficients visuels". "Nous allons désormais disposer d'un meilleur accès au savoir (...) et cela va avoir un impact positif en matière d'éducation", dit-il. "C'est un traité révolutionnaire qui se concentre pour la première fois (en matière de propriété intellectuelle) sur les utilisateurs et non sur les détenteurs de droits", se félicite pour sa part Teresa Hackett, dirigeante d'Electronic information for libraries (EIFL). Cette ONG internationale, présente dans plus de 60 pays en développement, aide des bibliothèques à entretenir une section pour les non-voyants. Ces espaces "ont un rôle clé à jouer pour garantir l'accès" aux livres et, "au Lesotho par exemple, ils vont pouvoir réclamer du matériel d'autres pays anglophones", indique Mme Hackett. "Ca n'est pas la fin d'un processus mais le début d'un espoir: celui de mettre un terme à la famine littéraire", clame-t-elle. Comme il s'y était engagé en cas de succès, le chanteur-compositeur américain Steevie Wonder était présent vendredi pour la cérémonie, ajoutant au bonheur ambiant. "La signature de ce traité est historique. C'est un nouveau départ pour les aveugles et mal-voyants", a-t-il déclaré devant la Conférence. "En 2010, je vous avais mis au défi de réunir vos têtes et vos cœurs (...). Ce succès envoie le message aux leaders mondiaux qu'il est possible de faire du business et d’œuvrer pour une bonne cause en même temps", a-t-il relevé.

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